Pareto e Lévy-Bruhl: similitudini e divergenze del loro pensiero

Comme Crawley, Frazer, Lévy-Bruhl et autres à la même époque, Pareto était un compilateur, il prenait ses exemples ici et là et partout, et les faisait entrer dans une classification assez élémentaire; ses jugements sont peu profonds. Néanmoins, son traité est intéressant car bien qu'il ne contienne pas une étude des peuples primitifs, il n'est pas sans rapports avec le tableau que Lévy-Bruhl dresse de leur mentalité. Lévy-Bruhl nous dit que les primitifs sont prélogiques, par opposition à nous qui sommes logiques. Pareto nous dit que nous sommes, dans l'ensemble, non logiques. La théologie, la métaphysique, le socialisme, le parlement, la démocratie, le suffrage universel, le progrès, que sais-je encore, sont aussi irrationnels que toutes les croyances des primitifs, parce que ce sont des produits de la foi et du sentiment et non de l'expérience et du raisonnement. Et l'on peut en dire autant de nos idées et de nos actions: notre morale, notre fidélité à notre famille et à notre patrie, etc. Dans ses ouvrages, Pareto accorde autant de place aux notions et au comportement logiques de nos sociétés européennes que Lévy-Bruhl aux sociétés primitives. Nous avons peut-être un peu plus de bon sens et d'esprit critique qu'autrefois, mais pas assez cependant pour faire une grande différence. Le rapport des zones logico-expérimentale et nonlogico-expérimentale est à peu près constant dans l'histoire et dans toutes les sociétés.


Bien que les conclusions de Pareto soient en opposition avec celles de Lévy-Bruhl, on peut noter quelques ressemblances entre les concepts analytiques qu'ils emploient. «Non-logico-expérimental» correspond à «prélogique», «résidu» correspond à «participation mystique», car, pour Pareto, les résidus sont des abstractions d'éléments unis par des rapports étroits qui sont communs à toutes les sociétés lorsqu'on en a retiré les éléments variables qui s'y ajoutent, tels que les relations avec la famille, avec les lieux, avec les morts etc. Les participations particulières - d'un individu avec le drapeau de son pays, avec son église, son école, son régiment, le réseau de sentiments dans lequel vit l'homme moderne - seraient pour Pareto des dérivations. Et nous pouvons dire que les «dérivations » de Pareto correspondent aux «représentations collectives» de Lévy-Bruhl. L'un et l'autre défendent la même opinion qui est la suivante: en dehors du comportement empirique ou scientifique, les gens veulent s'assurer que leurs idées et leur conduite seront conformes aux sentiments et aux valeurs en cours, et peu leur importe que leurs prémisses soient justes au point de vue scientifique et leurs conclusions parfaitement logiques; ces sentiments et ces valeurs forment un système de pensée qui a sa logique propre. Tout événement, comme le dit Lévy-Bruhl, est aussitôt interprété en termes de représentations collectives, et, comme le dit Pareto, en termes de dérivations - dans la logique des représentations et des sentiments qui sont à la base des dérivations. C'est eux, et non la science, qui établissent le niveau de vie. C'est seulement dans le domaine technologique, dit Pareto, que la science l'emporte sur le sentiment dans la société moderne. D'où notre difficulté à comprendre la magie et la sorcellerie primitives, alors que nous comprenons facilement les autres notions des peuples primitifs car elles correspondent à des sentiments que nous éprouvons nous-mêmes. Les sentiments sont supérieurs à la simple observation et à l'expérience et s'imposent à celle-ci dans la vie quotidienne.

Les principales différences théoriques entre les deux auteurs résident en ce que Lévy-Bruhl considère que la pensée et le comportement mystiques sont déterminés socialement, alors que Pareto considère qu'ils sont déterminés psychologiquement; en ce que Lévy-Bruhl voit dans le comportement un produit de la pensée, les représentations, alors que pour Pareto, la pensée, les dérivations, sont secondaires et sans importance; en ce que, tandis que Lévy-Bruhl oppose la mentalité primitive à la mentalité civilisée, pour Pareto, les sentiments essentiels sont constants, ne varient pas ou très peu selon le genre de structure sociale. C'est sur cette dernière différence que je veux insister car, en dépit de la confusion des idées et du caractère superficiel et quelque peu vulgaire de son traité, Pareto a bien saisi le problème. Dans une allocution prononcée à Lausanne, il dit:

«L'activité humaine a deux domaines principaux: celui du sentiment et celui de la recherche expérimentale. On n'insistera jamais assez sur l'importance du premier. C'est le sentiment qui pousse à l'action, qui crée les lois morales la notion du devoir et les religions, sous toutes leurs formes complexes et variées. C'est parce qu'elles aspirent à un Idéal que les sociétés humaines subsistent et progressent. Mais le second domaine est essentiel aussi pour les sociétés; il fournit au premier les matériaux dont il a besoin; nous lui devons le savoir qui permet d'agir efficacement et de modifier utilement notre sentiment en l'adaptant peu à peu, très lentement, il est vrai, aux circonstances. Toutes les sciences, les sciences naturelles comme les sciences sociales, ont été, au début, un mélange de sentiment et d'expérience. Il a fallu des siècles pour faire le partage de ces éléments, qui, à notre époque, est chose faite pour les sciences naturelles et qui est en train de s'accomplir pour les sciences sociales¹.»

Pareto avait songé à faire une étude du rôle que jouent la pensée et l'action nonlogiques  dans un même type de culture et de société, l'Europe ancienne et moderne, mais ne réalisa pas son projet. Il écrivit des pages et des pages sur ce qu'il considérait comme des croyances fallacieuses et un comportement irrationnel, mais il parle peu du bon sens, des vérités scientifiques et du comportement empirique. Si Lévy-Bruhl nous laisse sous l'impression que les primitifs sont continuellement engagés dans des cérémonies rituelles et sous l'influence de croyances mystiques, Pareto, lui, nous laisse sous l'impression que les Européens ont toujours été, à toutes les époques de leur histoire, à la merci de leurs sentiments, qu'ils expriment dans une grande variété de notions et d'actions qui lui paraissent absurdes.

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¹ Journal d'Économie Politique, 1917, p. 426. Appendice à An Introduction to Pareto. Hia Society, par Homans et Curtis, 1934.


E.E. Evans-Pritchard, La religion des primitives à travers les théories des anthropologues, Petite Bibliothèque Payot, 1965, pp. 70-72 (riferite all'edizione elettronica in formato pdf da me posseduta e liberamente scaricabile in rete).

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