Le cause della decadenza dell'Impero romano secondo F. Lot

La cause fondamentale de la décadence, puis de la décomposition de l'Empire romain, nous paraît être la suivante :

L'Empire était devenu une machinerie trop vaste, trop savante, trop compliquée ; le monde méditerranéen, en état de régression économique depuis le IIIe siècle, n'en pouvait plus soutenir le poids. Il se scinde en deux, pars Orientis, pars Occidentis, dès la fin de ce siècle. Pour l'exercise même de son pouvoir, l'État est dans la nécessité de rétrécir son champ d'action. Cette même nécessité obligera bientôt l'Occident à se casser en États à demi romains, à demi barbares. Ceux-ci, à leur tour, se subdiviseront et l'émiettement territorial ira croissant sans cesse pendant de long siècles, jusqu'au XIIe siècle. Ce rétrécissement de l'action politique s'accompagne de rétrécissement de l'esprit public: il ira jusqu'à l'anéantissement de l'idée d'intérêt général, jusqu'à la disparition de la notion d'État à l'epoque barbare.

Ainsi, sous une apparence encore majestuese, l'Empire romain, à la fin du IVe siècle, n'était plus qu'une écorce vide. Il était incapable de résister à une grande secousse. Et bientôt il va subir un nouvel et terrible assaut de la Barbarie. L'Orient s'en tirera vaille qui vaille. L'Occident volera en pièces.

Il est une chose plus profonde, plus stable que les formes politiques, toujour éphémères, c'est ce qu'on appelle la civilisation. Dans ses parties les plus hautes, les lettres, les arts, la philosophie, la religion, les transformations ne sont pas moins saisissantes que dans le domaine politique. Les vieilles et naïves divinités naturalistes, helléniques et latines, cèdent la place aux « superstitions » orientales, judaïsme, mithriacisme, manichéisme,  etc., venues d'Égipte, de Syrie, de Perse. Ces étrangères bouleversent l'étique, transforment la psychologie de l'homme antique. Son art et son littérature subissent le contrecoup de ces grands changements. Le culte stérilisant des grands modèles, certains défauts inhérents à l'esprit classique, rendaient presque impossible un renouvellement de l'estéthique. Le triomphe du Christianisme, bientôt celui de l'Islam, détacheront les âmes des formes anciennes de la beauté. Avant même qu'elle soit condamnée par la religion, la plastique succombera, victime d'une révolution du goût issue de l'Orient: la ligne est sacrifiée à la couleur, la noblesse du style à la fantaisie, à la chimère. Les lettres anciennes sont condamnées par l'Église. Toutes païennes, elles cessent d'être comprises et d'être aimées. Malheureusement la double littérature chrétienne, grecque et latine, qui entend se substituer à elle, croit y réussir en se coulant dans le même moule. Mais à des pensers et à des sentiments nouveaux il faut une forme nouvelle. Les lettres chrétiennes, au point de vue artistique, sont morte-nées. La science et la philosophie succombent sous la concurrence de la mystique orientale qui opère une véritable transmutation des valeurs.

La transformation n'est pas moins prodigieuse que si le dormeur éveillé voyait briller d'autres astres au-dessus de sa tête. [pp. 197-198]

[...]

L'État romain n'est pas un État véritable. Ses organes sont adaptés au gouvernement d'une cité antique et non d'un grand Empire. Aussitôt qu'elle a dépassé le stade de la conquête et de l'exploitation brutale ou hypocrite des vaincus, Rome ne sait trop quelle attitude prendre vis-àvis de ses conquêtes. La Cité est un creuset trop étroit pour y refondre le monde. Le plus ancient procédé, c'est la colonie, petite Rome en miniature, installée au coeur des pays conquis. On en use encore, mais insuffisamment. Les provinces sont, ou des expressions géographiques, ou des divisions artificielles, rarement d'anciens États (Égypte). La vraie division organique du monde méditerranéen, c'est la Cité. Parmi les cités vaincues, Rome fait des distinctions: celles qu'elle a intérét à ménager ou dont elle veut récompenser les services passés reçoivent les titres honorifiques de fédérées, alliées, amies, libres même, quoique, sous une forme ou une autre, elles payent l'impôt de sujétion, le stipendium, comme les cités sujettes. L'empire romain, c'est donc une fédération de cités groupées autour de la plus puissante d'entre elles, Rome.

Mais une fédération de ce genre, si elle était effective, se décomposerait très vite. En fait, toutes les cités sont soumises aux décisions arbitrales, c'est-à-dire arbitraires, du maître, l'empereur. Sa personne est le lien qui unit les pièces de la machine. Malheureusement ce pouvoir absolu est presque sans organes légaux, sans fonctionnaires. Le prince n'est pas un roi, et aucun principe de succession ne pourra jamais s'imposer. L'Empire romain tout d'abord n'a à sa disposition que le vieil organisme de la République, inapte à l'administration d'un vaste État. Il n'a pas d'institutions qui lui soient propres. En fin de ce compte, tout repose sur la volonté du maître et celui-ci, en théorie nommé par le Sénat et par le peuple, est en fait l'élu et le jouet des armées.

Ce vice radical, l'absence d'institutions, s'aggrave à partir de la fin du IIe siècle de notre ère, sous l'action de trois grands phénomènes: régression économique, crise religieuse, recrudescence de la pression des Barbares qui assiègent le monde méditerranéen depuis longtemps.

Crise économique: Rome a mis main sur les richesses accumulées depuis Alexandre. Elle les a gaspillées, elle ne les sait pas les renouveler par le travail. Son capitalisme, si toutefois on peut l'appeler ainsi, n'est qu'une usure stérilisante; les mines antiques, exploitées avec intensité, sont presque épuisées.

Crise de religion: elle eût suffi à elle seule à ebranler un organisme plus robuste.

Les Barbares: la Scandinavie déborde et la vague, se propageant chez les Germains d'Occident, déferle sur le monde romain qu'elle battra sans répit jusqu'à ce qu'elle ait forcé ses digues.

Alors se déchaîne la tourmente du IIIe siècle, où le monde romano-hellénique faillit s'abîmer, moins sous les coups extérieurs que sous l'action des maladies internes. Le IIe siècle est un pré-Moyen Age où la religion, la littérature (en Occident du moins) et l'art antiques sont profondément atteints.

Cepedant les forces sociales étaient encore assez vivaces pour triompher de ces maladies, quoique péniblement. Aurélien, surtout Dioclétien, puis Constantin, parviennent à reconstituer l'unité romaine. Seulement l'amorphisme du Haut-Empire n'est plus possible. Pour empêcher la dislocation il faut centraliser, faire de la magistrature impériale une quasi-monarchie, lui donner des organes, des foncionnaires, la diviser entre plusieurs têtes (tétrarchie, puis partages entre les fils d'empereurs).

Cette oeuvre de reconstitution est entravée par la crise religieuse et la ruine économique. Dioclétien, sous l'influence de Galère, croit venir à bout d'une secte réputée dangereuse, le christianisme, par une compression systématique et prolongée. Son successeur, Constantin, prend une voie diamétralement opposée, moins par politique que par conviction personnelle: il accorde aux chrétiens la liberté, puis des faveurs et des privilèges et, enfin, se déclare lui-même chrétien.

A la régression économique ces grands hommes opposent des mesures, soit heureuses, comme le rétablissement d'une saine monnaie, soit inopérantes, comme l'édit du maximum. Sortout ils instituent une sorte de régime de castes qui maintient à vie, puis héréditairement, chaque homme dans sa foncion ou son métier.

Aux vices de la societé les empereurs opposent une législation, tantôt plus humaine (pour la famille, l'esclavage), tantôt rigoureuse jusqu'à la cruauté (pour les délits contre les personnes et les moeurs).

L'armée est transformée. Les légions sont scindées en détachements qui tiennent garnison dans les villes fortifiées, réduites en étendue, ramassées sur elles-mêmes. Les « pronunciamientos » diminuent d'intensité, sans cesser pourtant complètement.

Grâce à cet ensemble de mesures, le monde romain peut continuer à vivre, à contenir les Barbares, à s'adapter à la vie chrétienne et y adapter ce qui subsiste de la culture païenne antique, et cela sera de grande conséquence. Ce sont là des services inappréciables. Quelle profonde nuit! quel retard dans le progrès, si le monde romain s'était disloqué dès le IIIe siècle!

Malheureusement, l'Empire n'est au fond qu'une « ruine réparée » et il l'y a tout de même un contrast tragique entre l'énormité de l'effort et le résultat. La décadence économique a été à peine enrayée et bientôt elle reprendra pour des très longs siècles.

Le changement de religion a été, au point de vue strictement politique, une opération médiocre: l'empereur impose le christianisme au moment même où cette religion subit une crise terrible, l'arianisme, et le pouvoir se jette à corps perdu dans le tourbillon des controverses théologiques, au grand dam de l'Église, et de l'État aussi.

La magistrature impériale aboutit inévitablement, normalement, à la monarchie du Bas-Empire. Mais cette monarchie n'est pas une monarchie véritable; elle ne l'est ni par l'hérédité, qu'elle ne réussit pas à constituer, ni par le caractère auguste, presqué mistérieux de ses représentants; l'étiquette et la pompe ne parviennent pas à faire illusion sur l'origine trop basse de la plupart des empereurs. L'empereur, en dépit de sa terrifiante puissance, n'est nullement respecté de la population qui, à l'occasion, lui prodigue railleries et outrages. La plèbe urbaine n'a conservé de son passé républicain que l'irrespect, et la fidélité est, de tous les sentiments, celui qui lui est le plus étranger.

Le prince ne peut compter non plus sur le dévouement d'une aristocratie guerrière se serrant autour du trône. En effet, l'aristocratie a été désarmée par l'autorité impériale. Elle sert l'État dans les carrieres civiles, elle est à la tête de la bureaucratie, pour employer un terme un peu trop moderne, qui mène la machine administrative et grâce à laquelle l'Empire tient encore. Mais dans ces hautes foncions l'aristocratie cherche moins l'intérét général que ses profits particuliers. Cette aristocratie apeurée, aplatie devant le maître, dès les premiers temps de l'Empire, possède économiquement une puissance formidable. La grande proprieté terrienne, qui a tué ou soumis la petite et la moyenne et qui, depuis la ruine du commerce et de l'industrie, est désormais l'unique source de la richesse, est toute entre ses mains. Sous une apparente soumission, l'aristocratie est la rivale du pouvoir monarchique, et quand elle redeviendra guerrière, en Occident, elle le remplacera. Les bases économiques, sinon juridiques et politiques, de la féodalité médiévale sont déja constituées sous le Bas-Empire.

Le peuple, sous la double pression, politique de l'empereur, économique de l'aristocratie, est réduit à une insignifiance presque absolue. Il ne s'intéresse qu'à son bien-être matériel et à son amusement. Il n'a de romain que le nom. Rome a réussi partiellement à romaniser le monde méditerranéen, mais seules les classes supérieures ont la mentalité romaine. Même quand ils ont appris à parler latin, ces Gaulois, ces Bretons, ces Espagnols, ces Africains, ces Illyriens, encore moins ces Égyptiens et ces Asiates, n'ont pu acquérir une conscience collective romaine. Les controverses religieuses seules sont parfois capables de tirer cet agrégat de peuples d'une apathie profonde, d'une aboulie sans remède.

Pour maintenir l'unité politique et « culturelle » du monde méditérranéen, il avait fallu briser par la force toute résistance, établir un pouvoir absolu, et ce pouvoir n'a pu subsister qu'en comprimant tout. Plus de politique, plus d'esprit public. La stérilité philosophique, scientifique, artistique et littéraire tient à la fois à des causes économiques et à des causes psychiques: on ne s'évade de cette gêole que par la porte du mysticisme. Par une fatalité inexorable, l'Empire ne peut subsister que par le dispostisme, et le dispostisme étouffe toute spontanéité vitale, mine l'État et amènera fatalement sa perte. La masse morte des serfs et des colons dans les campagnes, des lazzaroni dans les villes, n'offre à l'État aucun point d'appui politique.

La décadence économique a été une des causes de la décadence esthétique: une societé pauvre est rarement féconde en oeuvres d'art.

Autre cause: l'influence de l'Orient qui substitue son idéal à celui de la plastique hellénique. L'Orient, l'Asie, s'empare de l'Occident aussi bien esthétiquement, par son art, sous toutes ses formes (architecture, tapisserie, sculpture), qu'éthiquement par la religion: mithriacisme, manichéisme, christianisme.

quant à la littérature, sa décadence est bien plus profonde encore, d'abord à Rome, puis dans l'Orient hellénique. Ici aucune influence externe ne peut, comme ce fut le cas pour l'art, la renouveler, tout au moins la prolonger. Nous avons essayé de voir pourquoi le christianisme, loin d'apporter un souffle nouveau aux lettres antiques, s'était adapté aux formes les plus désuètes d'une tradition littéraire pétrifiée en des recettes conventionnelles. Sans doute, les littératures objectives, n'étant pas fondées sur des émotions personnelles, sont toujours menacées de tarir à bref délai. Ce ne sont pas seulement les littératures antiques, mais le lettres modernes qui ont failli, au XVIIIe siècle, périr déssechées. Rousseau et les Romantiques, en introduisant le subjectivisme dans la littérature moderne, l'ont sauvée de la mort.

Les langues antiques sont atteintes encore par les outrages inévitables du temps. Les Anciens n'ont pas admis qu'on écrîvit en des formes autres que celles que des chef-d'oeuvre avaient consacrées. Mais comme les langues se transforment sand qu'aucune force puisse s'y opposer, au bout de quelques siècles l'écart entre la langue écrite et la langue parlée devient tel que faire de la littérature consiste à écrire péniblement dans une langue figée, artificielle, morte.

La philosophie et la science sont en pleine décadence depuis longtemps. Cette décadence avait commencé avant même la naissance de l'Empire romain, avant même l'hégémonie de Rome, dès le IIe siècle avant notre ère. Elle se précipite après  et pour bien des motifs: l'esprit scientifique, mal distingué de l'esprit philosophique, est engagé dans une voie sans issue avec la logique aristotélicienne. La base, trop étroite, de la science antique repose sur les mathématiques et quelques parties de la physique; les connaisances en chimie et en biologie sont presque nulles. Il y a surtout la concurrence religieuse. Le sentiment religieux, engourdi dans les siècles qui ont précedé et suivi l'ère chrétienne, reprend avec une force extréme vers le IIIsiècle; il entre en conquérant dans l'âme humaine et entend y régner sans partage.

L'affaiblissement de l'Empire se manifeste sous sa forme la plus frappante, dans la décadence de l'armée. La gloire militaire de Rome, presque intacte encore, malgré les déchirements du IIIe siècle, s'éclipse soudain après Constantin. Et, dès la fin du IVe siècle, il est visible que si l'État romain est encore debout en apparence, la force lui a échappé et qu'elle est passée aux mains des Barbares à son service [pp. 239-245]


Ferdinand Lot, La fin du monde antique et le début du Moyen Âge, Albin Michel, 1989 (ed. or. 1927) [Ho omesso le note; sottolineature mie]

Commenti