Perché il medioevo cristiano salvò la letteratura pagana

Les Pères de l'Église étaient en majorité hostiles aux lettres classiques, et cette réprobation persistera à travers tout le Moyen Age. Les exemples abondent qui montrent, à cette époque, les meilleurs représentants de l'Église redoutant et condamnant la littérature classique. Saint Césaire d'Arles avait étudié auprès du rhéteur Pomerius. Il eut un songe où il vit rongé par un dragon son bras appuyé sur un livre païen: depuis lors il renonça à l'étude des belles-lettres. Les vies de saints sont pleines de traits de ce genre; ainsi la Vie de saint Éloi, attribuée à saint Ouen et qui date du début du VIIIe siècle, flétrit les poètes « scélérats » Homère et Virgile et proclame que les écrits des « gentils » ne valent rien pour des chrétiens. En Italie, Grégoire le Grand prononce la même condamnation. En Espagne, Isidore de Séville, le dernier des écrivains latins, hait la culture antique.

On peut se demander pourquoi les chrétiens n'ont pas détruite cette littérature païenne, au lieu de l'étudier et de la conserver. Mais, sous l'Empire, les lettres jouissaient d'un prestige incomparable auprès des classes instruites qui dirigeaient la societé. Mépriser les ressources de la « rhétorique » dans la polémique contre les païens et les hérétiques qui la possédaient à fond eût été se priver d'une arme indispensable et s'exposer à n'être ni lu ni entendu. D'ailleurs, au IVe et au début du Ve siècle, les plus illustres des chrétiens sont attachés, malgré tout, à Rome. Ils sentent, eux aussi, que le maintien de l'esprit national est lié à une certaine forme de culture.

Il ne faut pas oublier enfin que, à défaut de traites didactiques, on puisait des notions d'histoire, de philosophie, de sciences physiques et naturelles, etc., dans le commentaire des classiques, et ces notions étaient indispensables à l'interprétation des livres saints.

De là l'hésitation des Pères de l'Église a prononcé une condamnation sans appel contre les lettres profanes. Saint Jérôme saint Augustin, qui le goûtent sans trop l'avouer, les condamnent en théorie mais n'interdisent pas de les étudier. On tente même de s'approprier la forme en s'autorisant de la Bible: les Hébreux, au sortir d'Égypte, ont emporté les vases d'or et d'argent de l'ennemi; saint Paul, dans l'Épître à Tite, cite Ménandre. Des légendes se forment: Platon aurait connu l'Écriture sainte (au dire de saint Ambroise et de saint Augustin), Virgile aurait prédit le christianisme.

Néanmoins, à mesure qu'il se constitue une littérature chrétienne dont la forme s'inspire de la littérature profane - et ne s'en inspire, hélas! que trop, - celle-ci passe au second plan. Aux grands modèles se substituent les écrits del Pères: Tertullien, Lactance, Hilaire, Ambroise, Jérôme, Augustin, les poèmes d'auteurs tels que Commodien, Juvencus, Sedulius, Dracontius, Arator, Prudence enfin, le seul dont la réputation survive. Dans les écoles épiscopales et monastiques, on pourra de loin en loin copier un Virgile, un Ovide; mais, de moins en moins, on utilise le parchemin pour transcrire des oeuvres païennes. Et il va partout de même. En Espagne, la bibliothèque d'Isidore de Séville, était d'une richesse dont témoignent ses Etymologiae. À la fin du même siècle, la bibliothèque épiscopale de la capitale wisigothique, Tolède, ne renferme plus qu'un seul auteur classique, Cicéron.

Aussi les pertes sont-elles effrayantes. Si l'Irlande n'avait été convertie au Ve siècle et n'était devenue, à la dernière heure du monde antique, un asile pour sa culture, le déchet eût été pire encore.


Ferdinand Lot, La fin du monde antique et le début du Moyen Âge, Albin Michel, 1989 (ed. or. 1927), pp. 398-400 [note omesse].

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